Regards croisés sur l’IA (2/4)
Quand l'apprenant est évalué par l'IA … Stress ?
Parlons-en !
- Michel Diaz est éditorialiste sur le site E-Learning Letter, site de veille sur les actualités et les stratégies e-learning en entreprises
- Isabelle Dremeau est responsable éditoriale chargée de veille pour l’Atelier du Formateur
Dans cette deuxième partie, la discussion entre les deux experts porte sur l’impact de l’intelligence artificielle sur les méthodes d’évaluation de la formation, de la conception à l’analyse des résultats mais évoque aussi l’effet de l’évaluation par l’IA sur les apprenants …
L’élaboration d’une stratégie d’évaluation semble plonger nombre de Directions Formation dans l’embarras…
Michel Diaz : Pour de bonnes raisons, c’est que la “Question de l’évaluation” (de fait, les questions afférentes) est complexe. Passons en revue quelques-unes des questions posées…
Évaluer quoi ? Faut-il évaluer la qualité d’une formation, les savoirs acquis ou mémorisés par les apprenants grâce à la formation ? Ou bien, se concentrer sur l’impact de formation, par exemple, sur le gain d’aisance ou de productivité de l’apprenant dans son travail quotidien ? Faut-il évaluer toutes les formations (y compris celles qui concernent un faible nombre de collaborateurs ou dénuées d’incidence sur la performance de l’entreprise) ou seulement les formations « stratégiques ») ?
Évaluer pourquoi ? Évaluer pour évaluer ou pour occuper les évaluateurs ? Certes pas, mais c’est pourtant ce qu’on peut se demander parfois alors que le sens initial de l’évaluation s’est perdu. Faut-il évaluer pour que les apprenants aient le sentiment d’avoir droit à la parole (sorte de droit de vote) ? Ou bien, plus pratiquement, pour en tirer des pistes d’amélioration de la qualité ? Pour démontrer aux gestionnaires que la formation, c’est du sérieux ? Ou encore, pour démontrer que la formation a réellement contribué à accroître la productivité, à réduire les accidents du travail ou le turn-over, à améliorer la relation client, etc.) ? Sinon, pour montrer qu’on est en conformité avec une réglementation ? Cette question, on le voit, est étroitement liée à la précédente (Quoi) ; de fait, c’est au couple « Pourquoi x Quoi » qu’il faut répondre en priorité.
Qui évalue ? On peut se contenter d’interroger l’apprenant, par exemple, sur la qualité de la formation qu’il a reçue. Mais, lorsqu’il s’agit d’évaluer l’impact d’une formation, d’autres acteurs peuvent avoir voix au chapitre : le formateur, le manager, voire les collègues (la performance d’un service est un jeu collectif), un jury ou des tiers…
Évaluer quand ? Autrefois, on s’en remettait essentiellement à une évaluation sommative. Le numérique a permis de longue date d’instaurer l’évaluation formative, épousant étroitement chaque étape du parcours de formation, pour aider l’apprenant avec des recommandations personnalisées. De fait, le cadre temporel de l’évaluation a éclaté : on peut évaluer tout le temps ! Avant (pré-diagnostic), pendant (évaluation formative) et après la formation (les savoirs acquis à chaud, ou à froid).
Comment évaluer ? Si l’on peut évaluer divers objets (qualité ou impact de la formation, compétences, savoirs, mise en pratique, etc.) tout le temps et n’importe où, c’est parce qu’on dispose de tous les outils et plateformes numériques pour le faire : plateformes spécialisées (assessment management systems), plateformes LMS dotées pour la plupart de fonctionnalités d’évaluation, outils auteur pour générer des questions et des questionnaires… L’évaluation peut être aussi réalisée à l’aide d’un smartphone, sinon automatiquement dans des dispositifs connectés mettant en jeu l’internet des objets qui vous pistent sans que vous en ayez toujours conscience…
Impossible, donc, de se passer des outils numériques. L’IA est-elle la solution ultime en matière d’évaluation ?
Isabelle Dremeau : L’intelligence artificielle pourra sans doute apporter un précieux complément aux méthodes d’évaluation numériques traditionnelles, notamment dans la traçabilité des actions réalisées. En effet, les outils numériques d’évaluation intègrent progressivement l’intelligence artificielle à différents niveaux. L’intelligence artificielle peut être utilisée dès le début du processus d’évaluation en assistant le formateur dans la conception des questions et des questionnaires, ainsi qu’en automatisant la correction des travaux (avec une grille de critères fournie par le formateur). Des outils d’IA permettent aussi d’adapter le parcours de formation, quasiment en temps réel et automatiquement, à partir d’un retour continu et ciblé, et de proposer des ressources d’autoévaluation.
Avec un peu de recul, si l’on considère que l’évaluation n’est pas une fin en soi, mais un moyen d’améliorer les qualifications et la qualité de la formation, l’IA pourrait contribuer à un engagement apprenant plus fort, et l’amélioration continue des compétences. Parce qu’il sera bientôt possible de s’appuyer sur cette technologie pour corréler rapidement et facilement les données d’évaluation avec d’autres indicateurs de performance pour obtenir une vision plus globale et plus précise de la valeur créée par les formations.
Cela dit, laisser la main de l’évaluation à l’IA, c’est prendre le risque d’une nouvelle couche de stress pour les apprenants !
Isabelle Dremeau : Je suis consciente que le stress provoqué par l’évaluation par l’IA ne doit pas être minimisé, il est tout à fait légitime de penser que cela puisse avoir des effets potentiellement négatifs sur le bien-être des apprenants. On se trouve face à l’inconnu, les mécanismes présents sur les plateformes sont loin d’être transparents. C’est pourquoi la dimension humaine doit rester prédominante et surtout, elle doit être mise en avant auprès des personnes formées.
Comment ? En formant les formateurs, en identifiant pour toute évaluation un interlocuteur qui sera une personne réelle avec laquelle on pourra communiquer et s’expliquer, en favorisant des échanges réguliers et en valorisant les compétences acquises afin de transformer l’évaluation en un moment de co-construction avec le formateur. Peut-être même que l’IA nous obligera à penser l’évaluation autrement !
Volet 1 : Regards croisés sur l’IA (1/4) : Déshumanisation Volet 3 : Regards croisés sur l'IA (3/4) : Gamification Volet 4 : Regards croisés sur l’IA (4/4) : Fracture numérique