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Regards croisés sur l’IA (1/4)

L'IA un apprentissage personnalisé mais déshumanisé ?

Parlons-en !

Michel Diaz, éditorialiste sur le site E-Learning Letter, site de veille sur les actualités et les stratégies e-learning en entreprises, échange dans cette nouvelle série d’articles consacrés à l’impact de l’Intelligence artificielle en formation, son point de vue d’expert avec Isabelle Dremeau, responsable éditoriale chargée de veille pour l’Atelier du Formateur.

Dans ce premier article intitulé “L’IA un apprentissage personnalisé mais déshumanisé ?”, il sera question de la personnalisation des apprentissages amenée par l’IA dans les environnements numériques et du rôle essentiel de l’accompagnement humain face à ce défi.

Une promesse de l’IA, c’est de personnaliser l’apprentissage ?

Isabelle Dremeau : En effet, une expression qui revient souvent lorsqu’on parle des bénéfices de l’IA en formation, c’est la « personnalisation des apprentissages ». C’est même le premier argument mis en avant dans les ouvrages de références sur l’IA, et, bien sûr, sur les sites et les articles publiés par les fournisseurs d’outils. Ce qui m’interroge ce n’est pas ce dont est vraiment capable l’IA : proposer des exercices et des contenus adaptés au niveau d’apprentissage, c’est génial ! Mais cette automatisation pourrait limiter les interactions humaines et, pire encore, embarquer les personnes formées vers des compétences étroites et spécialisées… Une personne qui commencerait à se former à la sécurité incendie et deviendrait experte en extinction de feux de classe A, mais qui ne saurait rien des risques électriques ou de l’évacuation des personnes ! Cela pourrait d’autant plus compliquer le travail du formateur amené à devoir recadrer et canaliser ces suggestions.

Un risque, donc, de biaiser les formations ?

Isabelle Dremeau : Cet adaptive learning très personnalisé me fait penser aux fameuses « bulles de filtres » dans la recherche d’information et sur les réseaux sociaux et qui renvoient à l’utilisateur des résultats le confortant dans ses idées et ses opinions. Le risque est d’isoler l’apprenant sans lui offrir la possibilité de confronter son apprentissage avec d’autres questionnements ou modèles d’exercices. Si ce filtrage algorithmique s’installe dans les formations, il est fort possible que les responsables de formation aient à en maîtriser les conséquences.

La question de la personnalisation des apprentissages n’est évidemment pas nouvelle… 

Michel Diaz : Oui, qu’est-ce donc, par exemple, qu’un cours particulier pris par un élève ou un adulte dans le cadre de la formation professionnelle continue, sinon un moyen de personnaliser l’apprentissage ? Un exemple qu’on pourrait étendre à toute la formation sur mesure intra entreprise qui vise à former au plus près des besoins individuels à partir d’une conception pédagogique fondée sur une analyse préalable du contexte, des besoins, voire des styles individuels d’apprentissage. Mais, avec un coût exorbitant qui empêchait de généraliser cette forme de personnalisation dans le monde d’avant. Au contraire, l’entrée en lice du numérique (e-learning, Digital Learning, etc.) a ouvert la perspective d’un “passage à l’échelle” de l’apprentissage personnalisé, notamment grâce à la contribution des outils d’assessment (par exemple les quiz avant, pendant et après les formation). Dans une deuxième étape, on a pris conscience du rôle clé des Data : finalement, les algorithmes pourraient exploiter toutes les données produites par une personne dans son interaction avec les systèmes numériques de l’entreprise, voire avec son smartphone (la question de l’internet des objets) pour automatiser la réponse formation à ses véritables besoins.

Ce qu’on a qualifié d’adaptive learning ?

Michel Diaz : Pendant les années qui ont précédé l’arrivée de la “genIA” (l’Intelligence Artificielle Générative), l’adaptive learning a tenté de percer, mais, selon moi, sans produire les résultats qu’en attendaient les entreprises et leurs fournisseurs ! Depuis deux ans, avec l’émergence d’outils comme ChatGPT, nous sommes entrés dans la nouvelle ère de la “genIA”, laquelle semble pouvoir donner corps aux promesses de l’adaptive learning, voire d’augmenter ses possibilités algorithmiques au service de la personnalisation des apprentissages. Mais, outre les freins pédagogiques déjà mentionnés par Isabelle Dremeau, les obstacles qui ressortissent de l’organisation et de l’usage des données dans l’entreprise continuent d’entraver cette vision de l’apprentissage personnalisé “automatisé”.

Partagez-vous cette inquiétude d’une déshumanisation des apprentissages opérée par l’IA ?

Michel Diaz :  Ce risque est réel. Faut-il pour autant s’en inquiéter ? Je n’en suis pas si sûr. Car (pour reprendre une formule de René Girard) “tout apprentissage est imitation”, il met l’apprenant face au modèle qu’il désire imiter : dans son apprentissage, l’humain imitera un autre humain dont il considère le savoir comme désirable, et certes pas un avatar ni a fortiori le résultat produit par un algorithme ! Toute tentative de remplacer intégralement l’humain par l’IA (au moins dans certaines dimensions de l’apprentissage) me semble alors vouée à l’échec. Les formateurs ne doivent pas y voir une raison pour s’endormir sur cette “clôture anthropologique” au risque de devenir des “formateurs ChatGPT” comme, dans le passé, des intervenants ont pu se contenter d’être des “formateurs Powerpoint” !

Pourtant les formateurs ne doivent pas s’isoler dans leur Tour d’Ivoire ?

Isabelle Dremeau : Et ils ne le feront pas, l’intégration des outils numériques il y a quelques années a laissé quelques traces et ils ont encore en mémoire les difficultés rencontrées rien que pour la mise en ligne de contenus sur des plateformes de formation par exemple et la nécessité maintenant de s’intéresser à l’engagement des apprenants face à ces contenus. Les formateurs s’arment petit à petit de méthodologies de veille pour faire face et ne pas subir un second tsunami numérique ! Cette veille leur est devenue indispensable, même obligatoire pour les organismes de formation concernés par la certification Qualiopi. Elle balaie tous les domaines de la formation, des outils en passant par les pratiques pédagogiques mais aussi les neurosciences afin de mieux comprendre comment développer l’attention des personnes formées. Jacques Rodet, que nous avons reçu lors d’un webinaire avant l’été, a insisté sur la relation personnelle humaine entre le tuteur et un apprenant et qui est essentielle pour la motivation et l’engagement. L’IA ne peut établir de telles relations, elle fait défaut pour de nombreuses tâches tutorales, ne possède pas de mémoire pour réaliser un feedback pédagogique sur la base d’échanges lors d’un suivi. Si les outils d’IA générative de création multimédia ont été adoptés très rapidement par certains formateurs qui ont vu là une réelle opportunité pour construire rapidement des déroulés de cours, générer des diaporamas attractifs en quelques clics, tous savent que le besoin d’accompagnement pédagogique est plus que réel et bien loin d’être virtuel.


 

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